Edouard Navellier

Il fut avant tout un indépendant; il s'intitulait simplement « animalier » : en effet, on ne peut classer ni parmi les sculpteurs, ni parmi les peintres, dont il ne possédait pas les métiers, cet artiste que ne forma aucune école, aucun patron, aucune tradition. Son art, né d'une émotion. développé ensuite par une observation réfléchie et par un profond amour de la nature, le rattache plutôt à ces primitifs poètes qui glorifièrent l'élégance ou la puissance de l'animal en inscrivant ses contours sur la paroi des cavernes.

Dès l'enfance, un accident le rendit infirme pour toujours. Ses premières années s'écoulèrent entre l'atelier de graveur sur bois de son père, boulevard du Montparnasse, et les allées rectilignes du Luxembourg où, assis sur un banc, il regardait s'ébattre les autres enfants dont il ne pouvait partager les joies. Sa mère, qui souffrait de sa mélancolie, eut un matin l'idée de prendre un fiacre et de le conduire, pour le distraire, au Jardin des Plantes. Toute la faune, baignée de soleil, galopait, grimpait, voletait, ou s'étalait avec volupté à l'ombre des vieux arbres.

Ce fut, pour l'enfant reclus. l'émerveillement qui décida de sa carrière. Il découvrit les splendeurs de la lumière, du mouvement, de la vie animale, et emporta la belle image dans son cœur. Etendu sur son petit lit, il en rêva, essaya de la faire renaître par de naïfs

croquis, voulut connaître l'histoire naturelle, les récits d'explorateurs, tout ce qui expliquait pour lui ce monde immense et nouveau.

Adolescent et rendu à l'activité, il apprit de son père le métier de graveur, et suivit les leçons d'anatomie de Mathias Duval, les conférences de Milne Edwards, les cours du soir de dessin de Truphème.

Il poursuivit son rêve d'enfant émerveille et chercha, au cours d'innombrables visites au Muséum, à l'exprimer pour lui seul par le dessin. la peinture et plus tard par le modelage.

Il ne copia pas les animaux, il les aima. Dans des sujets de petites dimensions. il campa leur silhouette par de larges volumes, affirma leur caractère par quelques détails précis et chercha, avec une sensible et spirituelle philosophie, à traduire dans leur simple attitude leur obscure pensée dépouillée de toute convention tladitionnelle.

Ainsi. le bison penchant son énorme front entête à l'extrême bord de son socle tronqué exprime la mélancolie de sa race, condamnée par la civilisation utilitaire à ne plus exister qu'au titre de spécimen zoologique. La souple lionne roulant sa boule avec une insouciance de jeune chat parait se moquer de la dignité de ses congénères à perruque invariablement immortalisés depuis les grands Assyriens jusqu'aux réclames de cirage. Et l'âne, éternel paria des légendes, peut offrir le plus touchant tableau quand l'enfant grandissant appuie son tendre museau sur la tête de sa bonne ânesse de mère, épanouie dans l'annonce d'une nouvelle et proche maternité.

Mais Navellier, ce panthéiste, ne se consacra pas qu'aux animaux. Le paysage l'attira et, la encore, sa personnalité, s'affirma dans la liberté de ses traductions. Jeune, il avait peint suivant la facture de son époque. Ne trouvant pas l'expression qu'il cherchait, il y renonça.

Beaucoup plus tard, il rencontra la matière adaptée à sá conception rudimentaire et sensible tout à la fois. Il brossa à l'encre de Chine ou dessina au crayon à la cire des études synthétisées, parfois rehaussées d'une touche d'aquarelle. Le paysage, voulu sans effet facile, s'écrit avec son caractère intense et personnel : comme chez ses animaux, chaque arbre à sa figure propre chaque maison sa pensée, chaque ciel son climat, exprimés par les moyens les plus simples.

 

Exposition retrospective d'oeuvres d'Edouard Navellier, 1945.