Animalier, sculpteur et peintre, Mérite appartenait à cette lignée d'artistes qui, depuis Barye, se sont succédés à la chaire de Dessin appliqué aux Animaux au Muséum national d'Histoire naturelle de Paris. C'est dire le scrupule exigé dans l'étude où chacun apporta à l'Éducation Nationale son enseignement classique issu d'une forme d'art personnelle. Barye, Frémiet, Millot, Mérite professèrent avec des prestiges notoires. En novembre 1956 sous les auspices du Professeur Roger Heim, directeur du Muséum, une grande rétrospective de Mérite s'ouvrait dans la salle du rez-de-chaussée de la Galerie de Botanique.
Le succès en fut très rapide et trois ventes suivirent Salle Drouot. A l'examen de cette œuvre innombrable, on remarquera que, dans son travail, Mérite procédait par des séries de croquis de toutes les faces de ses modèles : attitudes, tensions et raccourcis. Après piégeage, car Mérite collectionnait les pièges et en connaissait construction et ressources, le sujet capturé était étudié dans la cage appropriée, nourri spécialement et livrait ainsi maints aspects inattendus de son intimité; même des prises de proie étaient provoquées pour expérimenter ce que la Nature cache le plus souvent, pour lui arracher des mystères.
Tout connaître pour tout représenter au plus vrai : le XIXème siècle, avec Barve et Frémiet, avait remis en question les « canons » par des mensurations précises, le premier avec une éloquence rapprochant tout romantisme de la vérité, le second réaliste et picaresque. Mérite, avec ces mêmes méthodes, prit un tour plus aigu, plus zoologique, curieux de toutes les espèces de bêtes et d'oiseaux, dessinant, peignant, traduisant en bronze, s'aidant aussi de moulages sur nature : tout objectif, sans lyrisme, ne requérant que les aspects livrés par l'observation et par l'expérience, il se complaisait dans la découverte.
Après réquisitoire, succédait, s'élaborait l'œuvre terminale. Là encore, pour la perfection, intervenait le contrôle du maître autodidacte. Il empalait un groupe aux prises, tel rapace liant sa proie, avec des broches fixant l'attitude précise, du moins suggestive de la scène vivante. Pas un trait, pas une touche qui ne fussent serrés de près pour raconter ce que sa rétine avait saisi dans la Nature, pour rappeler telle aventure. telle rencontre entrevues dans les bois, sur les glèbes ou dans sa croisière en océan Arctique avec le Duc d'Orléans et aussi en Afrique Sénégalaise.
Cette reconstitution de la vie fut celle de Degas, de Bastien-Lepage, de Gérôme après Meissonnier, d'Aimé Morot, ami de Mérite.
Acuité de perception, d'exécution, art du vrai, moins poétique que documentaire où le paysage est subordonné au plan de la scène; cela ne le gêne pas.
L'œuvre devient preuve. Donc, moins d'enveloppe que de silhouettes vives aux angles inégaux vers une expression originale, baroque par les « attendus » les plus inattendus de la forme mise et vue à crû. fel est l'art de I900 autour du « Salon ». A côté de l'impressionnisme déclanché par Constable, Turner, Daubigny, Jongkind et Boudin et l'influence du Japon. Mérite est un savant qui relate, décrit, peint et sculpte hors de toute influence discernable. De même, il étudie le mouvement, note ses phases, les stope sans se laisser charmer par le flou d'un battement d'ailes, ni par l'opposition des vitesses différentes du corps et des membres d'un lièvre, d'un chevreuil qui courent. Il s'en voudrait de ne pas tout dire. Ses peintures, ses aquarelles, sont toutes claires, vivement accordées à ce tempérament de ciseleur avec une palette de plein air mais non fragmentée de complémentaires.
Son modèle lui suggère cette technique franche et précise. Peintures et sculptures sont d'une même impulsion. Il s'adresse aux chasseurs, aux naturalistes, aux observateurs, aux explorateurs. Il est tout cela à la fois. Depuis cette époque, que de révolutions où le dessin, la composition aboutissent à un intellectualisme exaspéré qui, de nouveau, tourne à un académisme épidémique.
Mérite aura, du moins, enseigné que la personnalité sans mélange, a un caractère de hauteur, de courage dans la solitude, devant la beauté de la vie qui le particularisent par la difficulté la plus grande abordée et vaincue. C'est ainsi que cette forte conscience sut se plier à la Nature et combler le souhait de son compatriote normand, Gustave Flaubert. Tout est là, représenté.
Roger REBOUSSIN
Maître de dessin appliqué aux Animaux
au Muséum national d'Histoire
Naturelle de Paris.
3I janvier 1958.